La spontanéité du cauchemar


L’horreur traverse les océans. À Montréal comme ailleurs, nous avons vécu les événements touchant notre pays, nos familles, nos amis dans la même intensité et le même désarroi qu'au sein de la Ville Lumière. À tort ou à raison, je ne suis pas particulièrement patriote. Je suis née en France, mais me sens chez moi partout. Les événements survenus ce vendredi 13 novembre 2015 ont touché mon coeur de citoyenne du monde. Oui, le danger a effleuré ma famille et mes amis, et les menaces planent toujours sur eux. Mais c’est également le cas pour un bon nombre de pères, de mères, des frères, de soeurs qui me sont totalement inconnus, mais dont le droit de vivre m’inquiète tout autant.

Un jour qui aurait simplement dû précéder une fin de semaine comme une autre a été marqué de drames comme jamais il y en a eu auparavant. Paris et d’autres villes dans le monde ont malheureusement déjà subi l'atrocité d'actes terroristes. Mais jamais au grand jamais en France, des actes aussi violents que gratuits n’ont été commis contre des citoyens lambdas se divertissant. Rien ni personne n’aurait pu prévoir le "qui" et le "où", et c’est bien cela qui répand la peur aujourd’hui : aux yeux de ces fanatiques, chacun peut apparaitre comme une cible. 

Une douce soirée parisienne qui se devait être absolument normale a plongé la planète entière dans l’incompréhension la plus totale. Ce cauchemar, aiguisé et tranchant nous a été imposé. En une fraction de seconde, le souffle court, nous sommes passés du rire aux larmes. Une effervescence de plaisirs de fin de semaine transformée en un tsunami de douleurs et d’effrois palpables. Les détails sordides nous ont largement été expliqués par les chaines d’informations du monde entier.

Je suis de tout coeur avec les familles françaises qui ont perdu un proche ou sont encore en attente de nouvelles, je suis de tout coeur avec ceux et celles qui les aident à ne pas sombrer dans la haine et la stigmatisation par leur solidarité. Mais mes pensées vont aussi aux 43 morts et 239 blessés de l’attentat de Beyrouth qui a eu lieu 24 h avant ceux de Paris et duquel les médias européens et canadiens n’ont pas tellement jugé utile de parler, comme l’attentat programmé lui aussi ce vendredi à Istanbul mais heureusement déjoué. Il est important de se rappeler de l’existence de la loi du mort-kilomètre et de condamner ces différences de traitement, car tous ces actes terroristes convergent vers un même point et devraient tout autant nous concerner.

Alors après ça, comment continuer à vivre « normalement »? Bien sûr que nous souhaitons tous brandir un bras d’honneur à ceux qui un jour ont décidé de choisir qui vivra et qui mourra en ne modifiant pas nos habitudes de vies et leur montrer que leurs actes sont vains. Mais bien sûr aussi que certains craindront prochainement d’aller assister à une manifestation publique ou un événement culturel, que les gens se regarderont de manière encore un peu plus suspicieuse, que les scénarios catastrophes, transposés dans un quotidien rarement questionné, naitront plus vifs dans les esprits. Tout aura un goût différent.

Les réseaux sociaux et les recueillements organisés partout dans le monde nous appellent à rester debout, à nous serrer les coudes, à savoir que nous ne sommes pas seuls à ne pas vouloir nous laisser abattre. Mais d’un point de vue personnel, comment nous sentons-nous? Certains seront plus tristes, d’autres davantage fatalistes, certains haineux et quand d’autres deviendront défiants. Il est beau cet élan de solidarité, elle est belle cette vague d’amour que l’on constate malheureusement que dans ces conditions tragiques. Mais je vais vous confier une chose : au-delà d’avoir réveillé une étincelle d’angoisse permanente en moi, au-delà de la colère qui brasse mon estomac, je suis emprise d’un profond désarroi.

Je ne comprends pas comment il est possible d’agir ainsi. Complètement athée, je sais tout de même qu’aucune religion n’a jamais prôné l’assassinat et qu’elles condamnent toutes le fait de prendre une vie. Comment la nature humaine peut-elle donc être aussi abjecte? Essayer de comprendre la folie est difficile, l’anticiper est impossible. Je reste abasourdie par ces attaques et médusée par le sillage de douleurs qu’elles laissent derrière elles.

Aujourd’hui la mort ne me fait pas peur, la détermination de ces fous et leurs plans meurtriers non plus car nous n’avons malheureusement aucun contrôle sur ça en tant que citoyen. Mais ce qui me rend malade c’est toute la détresse des victimes et de leurs familles, c’est la solitude qu’on leur impose, c’est l’injustice à laquelle elles doivent désormais faire face.

À chacun son moyen d’expression, personnellement j'ai eu besoin de coucher mes idées pour essayer d’y voir un peu plus clair sans savoir si cela va vraiment m'aider. Je suis brouillée de sentiments contradictoires et je pense que cet état d’esprit ne va pas me lâcher de sitôt. Mais s’il faut essayer de reprendre le dessus, je terminerai par un brin de positivisme: la nature humaine peut apparement être aussi magnifique qu’elle s’est montrée abjecte. 

Le soutien moral aux victimes non médiatisé, le travail sans relâche des pompiers, policiers, médecins et infirmiers, les partages Facebook des appels à témoins, la création d’un #PorteOuverte, cet homme ayant amené son piano jusque sur les lieux du drame pour aider à sa façon... La liste des exemples ne viendra jamais égaler l’intensité avec laquelle cette vague d’entraide s’est déclarée. Voici également un post Facebook aux mots pesés qui m’a permis de balayer quelques idées noires et que j’ai moi-même partagé sur les réseaux.


Étrangement donc, la vie fini toujours par reprendre le dessus. Et s’il y avait des leçons à tirer de tout cela, voici celles que je retiendrai: être conscient au jour le jour de la chance d’être en vie et profiter au maximum des instants passés avec ceux que l’on aime.

Soyons vivants.


FLORA BIDAUD
Rédactrice web, pupitreuse pour la section culture
Tombée en amour du melting pot montréalais, Flora veut tout voir, tout faire, tout vivre! Adoptant un style proche du gonzo journalisme, elle met des mots sur les émotions pour vous faire partager les expériences qui l’ont fait vibrer.

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